Journées d'études : « Crise et Psychanalyse »
(les 11 et 12 Octobre 2014 au 23 de la rue Malus 59000 LILLE)
Quelques textes préparatoires aux journées
Crise et psychanalyse ?
Quels liens, quelles interrogations, quelles incidences peuvent avoir l’une avec
l’autre, l’une sur l’autre, l’une à partir de l’autre… la crise, le phénomène de la crise, et la
psychanalyse ? La psychanalyse n’est-elle pas née d’une crise ? La naissance de la
psychanalyse n’a-t-elle pas provoquée une crise ? Comment l’une s’avère peut-être
inséparable de l’autre ? Si la crise signifie, réalise, indique et accompagne le changement, la
modification… N’est-il pas attendu d’une analyse un changement, une modification ? Une
psychanalyse qui ne (se) générerait pas de crise serait-elle de la psychanalyse ? La crise n’est elle situable qu’au seul point de renversement, d’inflexion, qui se condense dans l’instant
critique, ou à contrario, n’est-elle pas aussi ce qui ne cesse (depuis des temps) de ne pouvoir
prendre fin... sous peine d’extinction ? La psychanalyse peut-elle être, peut-elle vivre,
autrement qu’en crise ? La psychanalyse peut-elle être autrement qu’à la fois permise et
empêchée par (une) la crise ? « Notre » crise postmoderne, capitaliste, économique, mais
aussi référentielle, transcendantale, ontique, téléologique, eschatologique,
anthropologique… n’est-elle pas ce qui permet, ouvre, la découverte freudienne en même
temps que ce qui la menace, la crispe et la réduit ?
Comment penser autrement la crise avec la psychanalyse [et Jacques Derrida]
Keith Jarrett, lors d'un concert donné à la Scala de Milan en 1997, osa mettre en crise
le thème musical qu'il choisit ce soir là de développer, Le public l'entendit crier,
gémir, amorcer une autre phrase, garder le silence, soupirer, se reprendre et
poursuivre sur un thème légèrement différent.
Que ce passage soit authentique ou surjoué, m'importe peu, J'aime bien ce moment, il
illustre la prise de risques, l’intérêt de casser la routine, se laisser envahir, déborder,
D'accepter d'aller ailleurs, Il y a toujours des moments comme ça dans la vie de
chacun, dans la société, mais aussi au cours d'une psychanalyse, Cette intranquillité
est nécessaire pour la création, pour produire du neuf, On se retrouve alors à la place
de Jarrett, de son piano ou de l'auditeur, sans bien discerner d'ailleurs dans ce trio
singulier, qui a la place de qui, et qui joue, et sur quoi on joue, et qui gémit, et qui
entend... Jacques Derrida écrit dans « Passions », comment savoir « qui est le lecteur
de qui, qui le sujet, qui le texte, qui l'objet, et qui offre quoi – ou qui - à qui ?». Une
crise comme celle-ci aura finalement été productive si elle parvient à travailler l'insu
de chacun.
« Il y a la psychanalyse » ? Ou, la psychanalyse à venir...
« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament »
R. Char
Deux préambules:
Le titre de mon propos doit à la lecture d’un article de J. Félician (« L’actuel et l’intempestif 1»), où il pose la nécessité de cette proposition, « Il y a la psychanalyse », comme fondatrice à la manière d’une affirmation fondamentale (Bejahung), celle de l’événement de l’écriture de la psychanalyse. Affirmation que je détourne ici dans une forme interrogative. Le « Il y a » la psychanalyse - retrouvant le neutre de la langue de Freud – ouvre la possibilité de la discussion sur l’actuel de la psychanalyse. Discussion qui portera d’une part sur son attitude envers l’actualité, et d’autre part sur son aptitude à faire acte ; mais pour autant, il me semble que l’affirmation de cette nécessité n’élude pas la forme interrogative que j’envisage comme une chance supplémentaire de solliciter cet « il y a la psychanalyse » comme… une écriture toujours à venir.
...
S'aventurer dans les chicanes de la démocratie
La pratique de la psychanalyse nous empêche-t-elle ou, au contraire, nous convie-t-elle à nous
intéresser de plus près à ce qui se passe sur la scène du Politique ?
Le résultat des dernières élections en France révèle une nette poussée d'un parti qui prône le retour à
un nationalisme étriqué, la fermeture des frontières aux migrants, le repli sur l'hexagone, le
renforcement des mesures sécuritaires, etc.. Ses dirigeants tiennent en public ou en privé des propos
virulents à connotations racistes, intégristes et homophobes, et ils entretiennent des alliances plus
que douteuses avec des mouvements analogues à l'étranger. Ceci nous rappelle de mauvais
souvenirs et fait craindre le retour au pouvoir d'une faction déterminée à imposer un programme
fascisant, démagogique, simpliste et rétrograde. Les leçons de l'histoire nous poussent à prendre très
au sérieux le développement rampant de thèses que l'on sait enfouies au plus profond de chacun,
lesquelles, dans certaines circonstances, pourraient se prendre en masse dans l'esprit d'un peuple et
accéder au pouvoir. Un régime démocratique oppose naturellement une certain nombre de chicanes
qui freinent de telles dérives, mais l'expérience montre que la démocratie peut être prise à revers et
servir à son tour de justification.
Qu’y avait-il dans la boîte de Pandore ? (Préparation aux journées d’étude). Joëlle Frouard
La boîte de Pandore est une autre image du virtuel, de l’internet d’aujourdhui. Si
la boîte s’ouvre, quelles plaies vont s’abattre sur nous ? Ou encore quelles
nouvelles perspectives ?
Nous habitons désormais dans une société abstraite, où le virtuel est
omniprésent, où le concret a de moins en moins de place. Cela affecte –il le poids
symbolique dont sont investit les objets, mais aussi les hommes ?
Les espaces d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Je me souviens de la sortie hebdomadaire au supermarché, nouveaux temples de la consommation, qui était devenue un objectif de sortie familial couronnée par un moment de restauration dans le restaurant de la grande surface commerciale. On n’avait plus qu’à mettre les pieds sous la table et ma mère ne portait pas sa robe- tablier de la journée. Et mon père était fier de pouvoir inviter sa famille nombreuse au restaurant.
« Adieu, fantômes ! Le monde n’a plus besoin de vous. Ni de moi. Le monde,
qui baptise du nom de progrès sa tendance à une précision fatale, cherche à
unir aux bienfaits de la vie les avantages de la mort. Une certaine confusion
règne encore, mais encore un peu de temps et tout s’éclaircira; nous verrons
enfin apparaître le miracle d’une société animale, une parfaite et définitive
fourmilière. » Paul Valéry
« Plus notre monde se laisse connaître dans ses déterminants, moins il
se laisse penser dans son devenir et sa finalité. Ce paradoxe ferait-il
l'actualité du malaise ? » J. B. Pontalis
- « Que pensez-vous des recommandations de bonnes pratiques de l’ANESM concernant la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme ? » : C’est la première question que me posa la personne mandatée pour effectuer l’évaluation du CMPP dont j’ai la charge. Le but de cette évaluation étant pour l’ARS d’avoir des critères pour redonner ou non un agrément aux structures médico-sociales.
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Jalons pour une démocratie différante (suite)
Pour de nombreux Français, la démocratie se réduit à l'exercice du pouvoir par une
oligarchie de technocrates censés avoir des compétences supranormales, propulsés à
ces postes par des élections régulières, mais aussi grâce à l'influence de lobbies ou de
castes dont ils restent ensuite prisonniers. L'expérience est décevante, et ceci explique
le taux considérable d'abstention. La démocratie devrait théoriquement engager un
mouvement contraire, constituer un lieu continu de débat permettant de penser le
rapport collectif au réel 2, élaborer un programme de gouvernement, et trouver
ensuite une majorité pour l'appliquer. La démocratie est en effet un mode partagé
d'exercice de la parole avant d'être une structure de gouvernement par une majorité.
Dans notre société française, c'est le chemin inverse qui a été suivi depuis des
décennies. La Ve république nous a habitués à des dérives personnelles sous prétexte
d'efficacité. Nous en constatons aujourd'hui les effets pervers.
La crise, comme mise en demeure de fabriquer un monde autre. Daniel Destombes
C'est une phrase ritournelle qui conclut souvent les propos désillusionnés sur
notre situation en ce début de 3ème millénaire: "Que voulez-vous, c'est la crise".
La philosophe Myriam Revault d'Allonne va même beaucoup plus loin en donnant
à son livre le titre: "La crise sans fin". Parlant ainsi, elle ose nous dire que selon
elle, la crise ne trouvera pas de solution dans les remèdes habituels qui
permettent, une fois la crise passée, de repartir comme avant. Pour elle, le
spécifique de la crise que nous traversons (nous, cad notamment les sociétés
occidentales) c'est que cette crise nous a fait atteindre un point limite, un point
irréversible: un type d'équilibre est brisé, définitivement brisé, les choses ne
pourront plus jamais repartir comme avant. Certains s'en attristent. Mettant
leur idéal dans un passé magnifié et idéalisé, ils sont à jamais nostalgiques de
leur bon vieux monde, le temps où il y avait un vrai Bon Dieu, des vrais pères,
une vraie tradition à quoi se référer, etc.
En quête d'une attitude si possible plus mobilisante, je préfère me référer à
l'aphorisme de HOLDERLIN: "Là où s'accroissent les périls, s'accroît aussi ce qui
sauve".
La psychanalyse en temps de crise : une nouvelle utopie ?
Ce qui caractérise notre postmodernité est la fin des idéologies. Avec la chute du mur de Berlin fut mis un terme à l’utopie qu’incarna, comme l’affirme François Furet, l’idée communiste. Dans notre univers désenchanté sans projet collectif bien établi, le consumérisme ambiant semble être devenu le seul enjeu de l’individu. La crise devient tout d’autant une crise morale qu’économique ou financière. Sans alternative crédible au capitalisme la morosité gagne.
En un certain sens, la psychanalyse est bien de son temps. Quand, comme le fait Lacan, elle situe la fin de l’analyse dans la chute du sujet supposé savoir, elle affirme que toute Cause n’est que semblant. Sans idéal qui tienne un peu la route, l’analysant se trouve jeté dans la mélancolie, et le gain qui serait la possibilité de vivre l’instant présent masque mal l’hédonisme voire le cynisme auquel il est invité.
La crise socio-économique serait-elle aussi une crise de la psychanalyse ? A contretemps de ces discours, et non sans un certain anachronisme assumé, nous proposons de penser la psychanalyse à la lumière de l’utopie. C’est notamment la manière singulière qu’ont les psychanalystes de faire communauté, qui nous préoccupera.
Christophe Scudéri – septembre 2014
A propos de l’omniprésence de la crise. Christian Lelong
Je ne parvenais pas à entrer dans ce thème tant il paraissait à la fois omniprésent mais trop général, difficile à problématiser. Par quel bout le prendre
Et puis j’ai écouté deux conférences de Marcel Gauchet sur son travail en cours relatif à l’histoire et la nature de la démocratie (on peut écouter ces conférences sur You Tube).
Voici comment le Robert étymologique définit la crise :
« …Une acception individuelle à forte résonnance psychologique (crise de l’adolescence) et une acception collective sociale et économique. En ce sens on parle depuis le début du 19ème de crise politique, financière, commerciale. Les difficultés de l’ancien régime n’étaient pas interprétées en termes de crise. »
Prendre son destin en mains, tant sur le plan collectif qu’individuel ne peut aller sans crises. La vie humaine n’a jamais été facile mais nous pensions naïvement que nous ne pourrions aller que vers le progrès, ça a été la croyance des lumières.
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